Emmanuel Macron s'est prononcé hier, lors d'un grand discours en public à Arras, en faveur d’une labellisation des sites d’information et des réseaux sociaux dignes de confiance, afin de lutter contre la désinformation.
Voici quelques extraits choisis de son discours, qui s'inscrit dans une séquence de communication politique sur la régulation des réseaux sociaux :
- « On doit distinguer [d’un côté] les réseaux et les sites qui font de l'argent avec de la pub personnalisée, et [de l’autre côté] les réseaux et les sites d'information ».
- « Ce n’est pas le gouvernement ou l'Etat qui peut dire “ceci est une information, ceci n'en est pas” mais je pense que c'est important qu'il y ait une labellisation faite par des professionnels, qui puissent dire “ceci correspond à la déontologie du secteur” ».
😳 En voilà une fausse bonne idée !
Le président semble s’inspirer de l’initiative « Journalism Trust Initiative », un label de confiance imaginé par Reporters sans Frontières et adopté par de nombreux médias internationaux depuis plusieurs années.
Si l’idée semble séduisante pour les médias traditionnels, désireux de protéger leur magistère, je n’ai personnellement jamais été convaincu par cette approche très naïve, qui ressemble beaucoup à un serpent de mer technocratique.
Penser qu’une labellisation venue d’en haut va résoudre les problèmes de désinformation, c’est ne pas comprendre grand chose aux transformations de l’écosystème informationnel de ces 20 dernières années…
La désinformation n’est pas qu’une affaire de tuyauterie des réseaux ou d’un manque de repères, elle prospère également sur une défiance réelle à l’égard des médias, des « gatekeepers » et des experts traditionnels.
On peut le regretter mais les médias dits « professionnels » n’ont plus le monopole de l’information officielle depuis un bon moment. C’est parfois pour le meilleur, et parfois pour le pire. Mais comme le disait un camarade sur Twitter, « on ne convaincra pas avec de nouveaux labels une population qui déteste les labels, les experts et les figures d’autorité ». Surtout si le dit label est adoubé par le Président lui-même…
Par ailleurs, la labellisation pose tout un tas de questions pratiques qui paraissent compliquées à surmonter :
▶️ Quelles règles déontologiques et quels « processus de fabrication » garantissent-ils une info fiable ? Je vous invite à regarder les critères de RSF, qui sont rédigés dans des termes affreusement larges et génériques.
Il faudrait à mon sens un corpus déontologique précis et collectivement partagé, mais peu de médias accepteront de s'aventurer dans cette voie autrement plus exigente (j'en veux pour preuve l'accueil réservé au Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) depuis 2019).
▶️ Quel est le sens d’une telle certification « macro » sans contrôle au cas par cas des éventuels manquements à la déontologie ? Par exemple, CNews pourrait-il obtenir un label malgré ses multiples fake news et condamnations en justice ? Le Point pourrait-il l’obtenir malgré son manque de rigueur extrême pointé par les tribunaux dans l’affaire Garrido-Corbière ?
▶️ Faut-il inclure uniquement les médias traditionnels ? Je crains qu’un tel choix n’aurait aucun sens en 2025, alors que les plateformes regorgent de créateurs de contenus indépendants qui sont parfois bien plus rigoureux que des journalistes dits « professionnels ».
▶️ Et comment imposer l’affichage de ces règles aux plateformes chinoises et américaines ? Je rappelle que l’Europe n’arrive toujours pas à faire appliquer ses règles de modération en ligne sur la plateforme X…
Si on voulait se donner les moyens d’une régulation fiable, voilà les questions (ô combien complexes) qu’il faudrait se poser.
Bref, je pense qu’on devrait mettre notre énergie ailleurs si l’on veut redresser notre écosystème informationnel. À commencer par une vraie remise à plat de la définition du journalisme d’intérêt public en 2025, des devoirs déontologiques et des aides publiques afférentes.
Espérons que les « Etats généraux de l’information », dont la retranscription législative est attendue pour cette année, feront avancer certains de ces points.